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Le rapport anti-Empire

Certaines choses que vous devez savoir avant la fin du monde

22 mars 2006 - par William Blum

"Mit der Dummheit kämpfen Götter selbst vergebens." Friedrich Schiller "Contre la stupidité, même les Dieux luttent en vain"

Lors de mes rencontres, on me parle souvent de ces Américains qui soutiennent les scandales de la politique étrangère des Etats-Unis quels que soient les faits qu'on leur présente, quels que soient les arguments avancés, quels que soient les mensonges proférés par le gouvernement. Lorsque ces Américains tombent à court d'arguments, il déclarent qu'ils sont bien contents que les Etats-Unis dirigent le monde et qu'ils en soient le gendarme ; plutôt l'Amérique que quelqu'un d'autre. Parmi eux on compte tous ceux qui croient encore que l'Irak était directement impliqué dans les attentats du 11 septembre, que Saddam Hussein avait des liens étroits avec Al Qaeda, et/ou que des armes de destruction massive ont bien été découvertes en Irak après l'invasion de 2003.

 

Mon conseil est le suivant : oubliez ces gens. Ils seraient capables de soutenir de tels outrages même si le gouvernement faisait irruption chez eux pour enlever leur fils aîné et les emmenait en hurlant, du moment qu'on leur raconte que c'est indispensable pour lutter contre le terrorisme (ou le communisme). Mon estimation (très grossière) est que ces personnes ne constituent pas plus de 15 pour cent de la population. Je propose que nous nous concentrions sur le reste, plus accessible.

 

Comme je n'imagine pas qu'une révolution violente aurait une chance de succès aux Etats-Unis (quelque chose en moi me dit que nous n'aurions jamais la puissance de feu du gouvernement, sans parler de sa perversité), je n'ai pas de solution à offrir pour arrêter la course du monstre impérial sinon que d'augmenter le nombre d'opposants jusqu'à qu'il atteigne une masse critique. Une fois atteinte, je ne peux pas prédire la forme que prendra l'explosion.

 

Je parle d'éducation et, dans mes écrits et lors de mes conférences, j'aime insister sur certains points qui traitent des conceptions intellectuelles erronées et autres "gueules de bois" émotionnels qui, je crois, empêchent les Américains de s'y retrouver au milieu de toutes les conneries débitées. Cette éducation peut aussi prendre la forme de manifestations ou d'actes de désobéissance civile, ou toute autre forme susceptible de décongeler un cerveau. En résumé, voici ces points :

 

1) la politique étrangère des Etats-Unis n'a pas de "bonnes intentions". Ce n'est pas que les dirigeants américains auraient commis des erreurs de jugement, ou auraient foiré quelque chose, provoquant de grandes souffrances, comme en Irak, tout en étant animés de nobles intentions. C'est plutôt que, tout en poursuivant des objectifs impériaux, ils n'ont tout simplement rien à faire des peuples qui se trouvent sous les bombes et sous la torture, et il ne faut pas leur permettre de prétendre autre chose.

 

2) Les Etats-Unis n'ont rien à faire de cette chose appelée "démocratie", et peu importe le nombre de fois que ce mot est prononcé par George W. chaque fois qu'il ouvre la bouche. Au cours des 60 dernières années, les Etats-Unis ont tenté de renverser littéralement des douzaines de gouvernements démocratiquement élus, parfois avec succès, parfois non, et sont ouvertement intervenus dans de nombreuses élections démocratiques partout dans le monde. La question est : que signifie la "démocratie" pour les Busheviks ? Tout sauf une démocratie économique qui réduirait l'abîme entre ceux qui sont désespérément pauvres et ceux pour qui trop n'est jamais assez. Leur première préoccupation est de s'assurer que le pays ciblé ait les mécanismes politiques, financiers et légaux pour en faire un havre de la globalisation.

 

3) les terroristes anti-américains ne sont pas motivés par la haine ou la jalousie de notre liberté, de notre démocratie, de notre richesse, de notre gouvernement séculaire ou de notre culture. Ils sont motivés par des décennies d'horribles actes commis chez eux par la politique étrangère des Etats-Unis. C'est la même histoire partout dans le monde. Des années 50 jusqu'aux années 80 en Amérique latine, en réaction à une longue politique américaine, il y a eu d'innombrables actes de terrorisme contre des cibles diplomatiques et militaires US et des bureaux de sociétés US. Le bombardement, l'invasion, l'occupation et les tortures en Irak et en Afghanistan par les Etats-Unis ont crée des milliers de nouveaux terroristes anti-américains et nous entendrons parler d'eux pendant encore très longtemps.

 

4) les Etats-Unis en réalité ne sont pas opposés aux terrorisme en tant que tel, mais uniquement contre les terroristes qui ne sont pas des alliés de l'Empire. Il existe une longue histoire et de nombreux précédents de terroristes anti-castristes, qui ont même commis des actes terroristes sur le sol des Etats-Unis. En ce moment même, Luis Posada Carriles est toujours protégé par le gouvernement des Etats-Unis, bien qu'il ait fomenté l'attentat contre un avion Cubain qui a tué 73 passagers et que son extradition ait été réclamée par le Venezuela. Les Etats-Unis ont aussi soutenu les terroristes du Kosovo, de la Bosnie, d'Iran et d'ailleurs, y compris ceux qui avaient des liens connus avec Al Qaeda, le tout pour faire avancer des objectifs de politique étrangère plus importants que la lutte contre le terrorisme.

 

5) L'Irak ne représentait aucune menace pour les Etats-Unis. Parmi les innombrables mensonges sur l'Irak , celui-ci est le plus insidieux, celui qui est à la base de tous les autres. C'est celui qui est sensé justifier un invasion préventive ou, selon les termes du Tribunal de Nuremberg, un guerre d'agression. Sans cette menace, il importe peu que l'Irak ait eu ou non des armes de destruction massive, il importe peu que les services de renseignements se soient trompés ou pas sur tel ou tel sujet, il importe peu que les Démocrates aient cru aussi à ces mensonges ou pas. La seule chose qui compte est l'affirmation de l'administration Bush selon laquelle l'Irak représentait une menace imminente et se préparait à ravager les Etats-Unis. Réfléchissons. Quelle raison pouvait pousser Saddam Hussein à attaquer les Etats-Unis, autre que le désir irrésistible d'un commettre un suicide en masse ?

 

6) il n'y a jamais eu de Conspiration Communiste Internationale. Il y a eu, et il y a encore, des personnes qui vivent dans la misère et qui réagissent à leur condition, contre un gouvernement répressif, un gouvernement généralement soutenu par les Etats-Unis.

 

7) les Conservateurs, particulièrement les "néos" (très à droite sur l'échiquier politique), et les libéraux [ au sens américain - ndt ] (un tout petit peu à gauche du centre) ne représentent pas deux pôles idéologiques opposés. Ainsi, un débat télévisé entre un conservateur et un libéral n'est pas "équilibré". Un véritable équilibre consisterait à mettre en présence un conservateur avec un partisan de l'extrême gauche ou un progressiste. Sur les sujets de politique étrangère, les libéraux américains sont plus proches des conservateurs que des groupes de gauche. L'impact médiatique d'un tel "équilibre" ne fait qu'empirer les choses en ce qui concerne la compréhension des actions et motivations de l'Empire.

 

L'ART DU BONHEUR

 

Le fameux écrivain conservateur George Hill a publié un article le mois dernier pour se réjouir d'un sondage qui montrait que les conservateurs étaient plus heureux que les libéraux ou les modérés. Alors que 34 pour cent de tous les Américains se considèrent "très heureux", ils ne sont que 28 pour cent chez les Démocrates libéraux (31 pour cent chez les Démocrates modérés ou conservateurs), et 47 pour cent chez les Républicains conservateurs. Will affirme que l'explication de ces chiffres réside dans le fait que les Conservateurs sont plus pessimistes et moins révoltés que les Libéraux. Ce qui semble être un contresens en ce qui concerne le pessimisme, et je vous proposerais bien de lire l'article mais celui-ci ne vous apprendra rien. L'article n'est qu'une occasion pour lancer une attaque contre les programmes sociaux et l'intervention du gouvernement dans le merveilleux monde du libre entreprise. "Les conservateurs pessimistes ne s'en remettent pas aux princes - aux gouvernements - mais acceptent l'idée que le bonheur est une question de se combat personnel," écrit Will.

 

Je suggère qu'une des raisons importantes du bonheur supposé des conservateurs est que leur conscience sociale ne s'étend pas au-delà de leur propre personne et leurs relations et amis les plus proches. A aucun moment George Will ne laisse entendre que l'état du monde pourrait entamer, ou devrait entamer, le bonheur des conservateurs. En ce qui me concerne, si mon bonheur était uniquement basé sur ma vie privée - travail, relations, santé, aventures, confort matériel, etc - je pourrais sans hésiter me déclarer très heureux. Mais je suis béni/maudit par une conscience qui perturbe ma tranquillité. La lecture de mon journal et des centaines d'horreurs quotidiennes - la cruauté de l'homme, la cruauté de la nature, la cruauté du hasard - me remplit de désespoir et de colère. Souvent, le plus dur à avaler est le fait que c'est mon propre gouvernement, ici et à l'étranger, directement ou indirectement, qui est responsable de plus de misère que tout autre facteur humain. Au cours de la première moitié de mon existence, je n'aurais jamais pensé qu'un jour mon propre gouvernement me ferait si peur. Mais si j'avais été un conservateur, je trouverais un grand réconfort, et même un bonheur, à me convaincre que ce sont principalement les "méchants" qui souffrent et que toutes ces horreurs ne sont destinées qu'à faire avancer la démocratie, la liberté et autres joyeusetés dans les coins le plus reculés de la planète. Et le tout pour un profit.

 

LE PUNCHING-BALL CUBAIN

 

Le Comité pour le Protection des Journalistes (2), basé à New York, se qualifie comme une "ONG indépendante qui se consacre à défendre la liberté de la presse partout dans le monde". Au mois de décembre, il a publié un rapport qui disait que "la Chine, Cuba, l'Erythrée, et l'Ethiopie sont les principaux prisons pour journalistes en 2005."

Le 7 janvier, j'ai envoyé le courrier électronique suivant (3) :

"Messieurs,

J'ai une question concernant votre rapport sur les journalistes emprisonnés. Vous écrivez que vous considérez que des journalistes sont emprisonnés lorsque des gouvernements les privent de liberté pour leurs écrits. Ceci implique qu'ils ont été emprisonnés uniquement à cause de ce qu'ils ont écrit. Pour Cuba, vous annoncez le chiffre de 24. Je me demande si votre critère peut s'appliquer dans le cas cubain. Ces personnes n'ont pas été arrêtées parce qu'elles sont journalistes, ni même dissidents, en tant que tels, mais à cause de leurs relations politiques et financières étroites, voir intimes, avec des officiels du gouvernement des Etats-Unis.

"Les Etats-Unis sont au gouvernement cubain ce qu'Al Qaeda est à Washington, mais plus puissant et beaucoup plus proche. Durant toute la période de la Révolution cubaine, les Etats-Unis et les exilés anticastristes aux Etats-Unis ont provoqué plus de dégâts à Cuba que les attentats du 11 septembre 2001 à New York et Washington. En 1999, Cuba a porté plainte contre les Etats-Unis et a demandé 181,1 milliards de dollars de dommages et intérêts pour leur responsabilité dans la mort de 3.478 cubains et les blessures infligées à 2.099 autres.

"Est-ce que les Etats-Unis ignoreraient un groupe d'américains qui recevraient des fonds d'Al Qaeda et rencontreraient régulièrement des dirigeants connus de cette organisation à l'intérieur des Etats-Unis ? Quelle importance y aurait-il si ces dissidents américains se proclamaient journalistes ? Au cours des dernières années, le gouvernement américain a arrêté de nombreuses personnes aux Etats-Unis et à l'étranger pour leurs liens supposés avec Al Qaeda, avec beaucoup moins d'éléments de preuves que Cuba n'en a présentés sur les relations de ses dissidents avec les Etats-Unis.

"De plus, la plupart des Cubains arrêtés peuvent difficilement être qualifiés de journalistes. Leurs écrits n'ont été publiés que sur des sites internet gérés par des agences aux Etats-Unis."

Le 10 février, et sans réponse de leur part, j'ai envoyé un deuxième courrier en référence au premier. A la date du 21 mars, je n'ai toujours pas reçu de réponse.

Aux Etats-Unis, il n'est pas besoin de justifier une attaque contre Cuba. Il suffit de le faire et, si par une quelconque bizarrerie, un type bizarre vous demande de vous justifier... ben, on s'en fiche. Les pages sportives du Washington Post aujourd'hui fournissent un autre exemple de ce réflexe conditionné. Alfonso Soriano, le nouveau joueur de Washington National (base-ball - ndt), a refusé de jouer sur l'aile gauche en insistant que sa place est à la seconde-base. "Imaginez, écrit Thomas Boswell, que Soriano refuse de changer de place dans l'équipe cubaine lors d'un championnat mondial. Fidel Castro ferait disparaître son corps avant même la fin du match." (4)

Soi dit en passant, on pourrait aussi faire remarquer que parmi la population carcérale des Etats-Unis, qui s'élève à plus de deux millions, il y a probablement quelques centaines de personnes qui ont été, à un moment donné ou un autre, d'une manière ou d'une autre, des journalistes.

( ... ) Traduction Viktor DEDAJ

source CSP

 

NOTES

{1} Washington Post, 23 février, 2006, p.19 {2} http://cpj.org/ {3} To: info@cpj.org {4} Washington Post, 21 mars, 2006, p.E1